Le Soi ou le personnage

“Pouvez-vous vous présenter … ?”

C’est une question à laquelle nous sommes tous confrontés, plusieurs fois dans notre vie.

C’est – sauf exception – une réponse sociale en termes d’activité qui est attendue.

Comme si cela nous définissait…

Masques et apparences
Ne pas confondre fonction et être

Petite proposition pour les personnes curieuses, en lien avec des travaux en psychologie sociale : répondez 20 fois de suite (différemment à chaque fois et brièvement) à la question “Qui suis-je ?(1) .

Les résultats suivent une progression intéressante, qui part d’une présentation publique (fonctions ou travail, statut social, marital, etc.), pour progresser généralement vers des éléments plus intimes…

Le soi comme contenu

Sans entrer dans une réflexion philosophique, mon propos est surtout ici de souligner une source de problèmes :

La confusion entre nos histoires
(nom, sexe, origines, métier, relations, statut marital, expériences, rôles, etc.)
et qui nous sommes réellement.

En Thérapie d’Acceptation et d’Engagement (ACT) que je privilégie, c’est l’un des six processus centraux, source de souffrance (2) : l’attachement au soi conceptualisé, ou “soi comme contenu” (Patty Bach), c’est à dire à une manière de nous décrire. Jonathan Lehmann utilise les termes simples et intéressants de «Moi histoire».

Si nous commençons à croire cette histoire qui nous traverse,  à croire que nous sommes cette histoire et surtout si nous y attachons de l’importance, alors nous risquons un jour ou l’autre d’être confrontés à des problèmes.

Si nous nous attachons à ces rôles, ces statuts actuels ou bien de notre passé, nous glisserons alors vers la souffrance au moindre écueil les remettant en question, ou les modifiant (séparation, perte d’emploi ou de revenus, retraite, dégradation physique, etc.).

Le personnage : ce que nous présentons

Sans doute beaucoup d’entre vous connaissent l’étymologie du mot personnage utilisé depuis le XIIIè siècle. Il me semble intéressant d’y faire un court détour.

Ce mot est en effet formé à partir du latin Persona qui désigne le masque de l’acteur : ce qui est présenté, visible.

Il va ensuite désigner un rôle dans une pièce de théâtre ; pour finalement signifier “caractère”.

Le rôle de l’acteur n’est pas l’acteur.
Ne pas confondre la fonction et l’Être.

Comment faire ?

Depuis le début de votre lecture, peut-être avez-vous trouvé quelques pistes.

L’une d’elles consiste justement à ne pas s’attacher (ou à s’attacher le moins possible) à cette histoire, j’ai envie d’écrire, à notre passé.

La thérapie d’ACT vise ainsi – parmi 6 axes thérapeutiques – à développer une meilleure conscience de soi,  de cette part de nous qui reste commune, quoi que nous vivions et traversions.

Le Soi comme contexte

Nos pensées changent continuellement. Nos sentiments varient. Nos statuts, notre corps se modifient…

Pourtant, il y a ce “je” invariant derrière toutes nos expériences. L’essence de notre Être.

Je ne parle pas toutefois de cette partie de nous qui pense, qui a des croyances, des souvenirs, des fantasmes (le soi penseur, voire ce “Moi jacasseur”, pour reprendre les termes de J. Donnars). Il s’agit d’un aspect beaucoup moins familier et plus difficile d’accès, source de libération.

En thérapie d’ACT on le désigne par les termes de Soi comme contexte (en opposition au soi comme contenu). Il s’agit de cette part qui peut observer nos expériences psychiques et émotionnelles, ce Soi qui reste le même, que nous soyons enfant ou très âgé. Il peut être rapproché de la notion du «Moi Présent» de Jonathan Lehmann, même si ce dernier correspond davantage à un autre axe essentiel en Thérapie d’Acceptation et d’Engagement…

Comme beaucoup de psychothérapeutes, je privilégie pour plus de clarté les termes de Soi Observateur.

Concrètement, cela passera par la pratique, l’entraînement. Il s’agit d’apprendre à faire ce pas de côté, à prendre du recul en observant dans l’instant ce qui nous traverse : d’abord nos sensations, ensuite nos pensées puis nos émotions difficiles.

Il s’agit de développer, progressivement, à l’aide d’exercices spécifiques, le point de vue de l’observateur.

N’hésitez pas, pour cela, à vous faire accompagner…

Compléments :

Cet article a été écrit suite à une séance de psychothérapie le 28 mai dernier* au sujet de la confusion entre fonctions et personne : je remercie mon patient qui se reconnaîtra pour cela. [*en 2020]

Notes bas de page :

(1) Test de Kuhn et Mc Partland (1954).
(2) Nous présentons progressivement et de manière synthétique les cinq autres processus et la “rigidité psychologique” : Fusion cognitiveEvitement expérientielPrédominance du passé et futur conceptualisés, connaissance de soi limité – Manque de clarté/contact relatif aux valeurs – Actions inutiles ou négatives.

6 réponses sur “Le Soi ou le personnage”

  1. Super intéressant tout ça.. Cela me ramène à notre premier jour de formation à l’ISR, au moment où il fallut nous présenter nous même… Nous étions tous dans le rôle, la fonction. Normal j’imagine de ne pas livrer l’intime à des inconnus, à l’époque. Retenue,, protection, humilité, honte..?
    En tout cas, ça donne envie de creuser le concept et de connaître l’ACT que tu nous avais présenté en cours.
    Merci pour ton partage, Muriel

  2. Merci pascal.
    Tes articles sont toujours appropries a ce que je vis actuellement..
    A bientot en visio séance?
    bon wk.

  3. J’ai l’impression que le Moi Observateur ne peut jamais être qu’un état psychologique que nous pouvons adopter momentanément, avec de l’entraînement. Un état d’autant plus facile à invoquer lorsque nous assis confortablement sur notre chaise.
    Qu’en est-il lorsqu’on est immergé dans notre quotidien? Y a-t-il des personnes qui parviennent à être plus souvent “eux-mêmes” que leur “histoire”? Et puis ça donnerait quoi concrètement?

    Même si je crois comprendre ce que c’est que se sentir aligné avec soi, je n’arrive pas à m’imaginer détaché de mon histoire.

    1. Bonjour,

      Merci pour votre partage.

      Il me semble qu’il s’agit de développer ainsi, d’abord dans un cadre facilitateur, de nouvelles compétences psychologiques.
      L’immersion dans le quotidien, c’est un peu comme un marathon :
      il faut d’abord s’entraîner hors difficultés, pour que l’expérience s’installe, mine de rien, au fil du temps.
      Les recherches en neuro-psychologie montrent des modifications corticales par la pratique de la méditation, sorte de “zoom” ou arrêt sur images, vis-à-vis de nos expériences intérieures.

      Le propos, selon moi aujourd’hui, et en référence avec le cadre de la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement que je privilégie, n’est toutefois pas d’être tout le temps serein, ou spontané sans conditions : il s’agit aussi de s’adapter au contexte en étant le plus possible en accord avec nos valeurs, du mieux que nous pouvons (ce “mieux” étant variable d’un jour à l’autre).

      Donc, oui, nos histoires sont importantes, certaines prennent plus de place que d’autres. Ces “étiquettes” ont aussi une utilité (sociale). Mais il s’agit peut-être de mettre davantage de recul, de moins s’y attacher en quelque sorte. Cela arrive pour certaines personnes d’un âge plus avancé, d’autres après une expérience vitale : c’est ainsi quelque chose qui peut s’acquérir, se développer. Certains accompagnements peuvent accélérer ou permettre ce processus.

      Bien à vous,
      Cordialement
      (désolé pour la réponse très tardive)

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